Lien de parenté

REGRETS ♫ mylène farmer & jean-louis murat

Une nuit et une journée avait passé depuis que Kate avait emménagé sobrement dans le château Von Dast, accompagnée de ses serviteurs. Des serviteurs humains, certes, mais Yvan ne pouvait se permettre le luxe de faire la fine bouche.
Tout s'était plutôt bien passé jusqu'à présent. De retour du manoir MacMahon, Yvan avait mangé. Puis, il avait passé tout le jour suivant dans son lit fraichement refait, avec les draps les moins moisis qu'il avait pu dénicher. Il devait à tout prix trouver quelqu'un à Gothik City pour mettre à jour sa literie et sa garde robe.

Le soir arrivait tout doucement lorsqu'il s'éveilla, nu sous son drap. La pluie battait contre la vitre. Ah, la saison des Glaces était terminée, il n'allait cesser de pleuvoir pendant longtemps. Yvan resta sur le côté, la tête sur l'oreiller, à observer la course des gouttes d'eau sur le verre. C'était un spectacle hypnotisant.
L'horloge du petit salon sonna sept fois et il se décida à se lever. Il se sentait faible encore, mais ce n'était pas un problème pour cette nuit. Son activité physique ne serait pas des plus intenses.

Yvan parut dans le petit salon vêtu d'un pourpoint en velours noir, au col haut et droit, qui caressait sa mâchoire. Il l'avait déniché dans un coffre de la chambre de son défunt père, qu'il avait visitée dans le seul but de lui rendre hommage. Cela avait été plutôt positif.
Une des servantes de Kate était présente, ainsi qu'il l'avait expressément commandé. Il n'avait pas demandé à Kate de passer l'ordre, mais s'en était occupé lui même, car il n'avait pas voulu qu'elle lui refuse ce plaisir. Dix huit heure trente dans le petit salon. Et toujours selon ses ordres, lorsqu'elle l'aperçut, elle s'empara d'une bouteille en cristal contenu un liquide sombre, ainsi qu'un verre cubique. Les humains les utilisaient pour boire de l'alcool, comme du whisky. Yvan préférait le sang humain. Il avait refait des réserves récemment, avec le peu qu'il avait trouvé.

Lorsqu'il eut pris son petit déjeuner, Yvan se leva et se dirigea vers la sortie.

"Tu diras à ta maîtresse de me rejoindre à la bibliothèque lorsqu'elle sera prête."

Il s'éclipsa ensuite, mais ne monta pas à l'étage. Kate trouverait seule la bibliothèque, il lui avait fait une visite sommaire des pièces communes qu'elle avait besoin de connaître, avant de la mener à ses appartements. Il lui avait choisi la chambre de Lucie, refusant d'ouvrir les appartements privés de sa mère. Ces derniers avaient été scellés par son frère apparemment, et jamais ouverts depuis la mort d'Holly von Dast.
Yvan apprécia grandement l'air frais qui courait dans les jardins, plus simple et nature que chez les Castellis. Il était d'autant plus sauvage qu'il y avait longtemps qu'un véritable jardinier n'y avait mis son grain de sel. Son vieil ennemi avait cependant taillé quelques haies d'une manière fantasque. Yvan patienterait jusqu'à la repousse, même si cela lui coûtait de supporter cette vue.

Le Prince Noir s'aventura jusqu'au cimetière de la famille. Les tombes étaient presque toutes gravées au nom des Von Dast et les rares qui ne l'étaient pas se trouvaient à l'écart. Ce fut cependant devant une tombe Von Dast qu'Yvan s'attarda. Il s'agenouilla sans toucher la terre de son pantalon en cuir et posa ses doigts sur l'herbe humide. Cette épitaphe.

YVAN VON DAST
FRERE DEVOUE
GENERAL RESPECTE
MORT POUR LA CITY

Très simple. Silencieusement, il remercia Ulrick de ce choix. Qui respectait ses propres goûts. Son frère était tellement sensible aux autres quand il prenait la peine de faire attention à son entourage. Il était toujours très touché par ce qui arrivait à la famille. Devait il lui aussi l'enterrer ? Il avait sa place ici, largement. Mais pour Ulrick von Dast, cela ne pouvait être simple et discret.

"Tu attendras donc, mon frère. Que je puisse te rendre hommage comme il se doit."

Là dessus, il plongea ses doigts dans la terre de sa propre tombe.

Un quart d'heure plus tard, il entrait dans la bibliothèque, ébouriffant ses cheveux trempés à l'aide d'une serviette, ses bottes dispersaient de la boue sur les sols. Peu lui importait, le château était tellement poussiéreux et plein de toiles d'araignée. Les tableaux avaient été soit volés, soit lacérés. Yvan avait préféré ne pas les regarder de trop près, histoire de ne pas avoir mal au cœur en voyant le visage d'un des membres de sa famille proche, peut être décédé, ainsi mutilé.
Il ne voyait pas Kate, mais peut être était elle dans les rayonnages. Bien qu'il ne lui ait pas dit ce qu'il était venu chercher. Yvan rassembla beaucoup de livre sur l'une des grandes tables et alluma quelques chandelles. Et il se mit à lire et réfléchir. Tous les livres traitaient de sorcellerie, d'invocations démoniaques.
Tandis qu'il parcourait les ouvrages, à son doigt, brillait une bague. La bague des Von Dast, récupérée dans son cercueil, bien entendu vide.

Kate se retourna sur le dos, se tortillant au milieu des draps. Hum... il faudrait qu'elle pense à en ramener de son manoir. Ceux-ci étaient vieux. Mais c'était tout ce que Mary avait déniché dans les placards.

Elle se demanda ce qui l'avait réveillée. Sans doute le bruit de la pluie. Ah merde... ça voulait dire que ses cheveux allaient friser, peu importe ce qu'elle allait faire... Elle s'assit dans le lit, repoussant ses cheveux décoiffés en arrière. Ah oui. C'est vrai qu'elle n'était pas dans sa chambre. Il y avait un peu trop de meubles ici. Elle n'avait pas besoin de deux armoires. Surtout qu'elle n'avait même pas dépaqueté son sac. Et quel était l'intérêt d'avoir un coiffeuse ? En plus, le miroir était brisé et terni...

Le soleil se couchait à peine. Et pourtant, elle se décida à se lever. D'un pas légèrement trainant, elle récupéra son sac qu'elle avait abandonné dans un fauteuil en arrivant. Elle laissa tomba sa nuisette sur le sol, et attrapa les premiers sous-vêtements qui lui tombèrent sous la main. Ah... elle aurait dû déballer ses affaires. Ils étaient tous froissés... Bah... Elle enfila quand même le premier haut qui lui tomba sous la main. Noir, coupé aux épaules, montrant un peu le haut de sa poitrine. Et puis elle trouva un short. Ah c'était son préféré. Il était confortable celui-là.

Elle récupéra ses bottes et s'attarda tout de même devant la coiffeuse histoire d'arranger sa coiffure. Ses cheveux bouclaient déjà à cause de l'humidité. Trop long de les lisser. Et elle avait laissé tout son matériel à la maison. Elle les attacha en queue de cheval pour dissimuler ce désastre capillaire.

Elle avait un peu la dalle, mais ça pouvait attendre encore quelques heures. Pour l'instant, il y avait plus urgent. Elle avait remarqué qu'il restait un bout de chair rougeâtre sous l'un de ses ongles. Elle fouilla dans son manteau et récupéra sa boite de lime à ongle. Elle en choisit une toute petite, capable de se glisser sous ses ongles, et elle se laissa tomber dans un autre fauteuil, se mordillant la lèvre tout en passant le morceau de métal sous la pointe de son ongle.
Dans l'opération, elle abîma la pointe de son ongle, ce qui l'obligea à le relimer avec attention pendant de longues minutes. Son travail terminé, elle se laissa glisser dans le fauteuil, la nuque sur un accoudoir, les jambes par-dessus l'autre. Elle tendit la main, examinant ses ongles. Elle était satisfaite du résultat.

Entrez... annona-t-elle vaguement lorsqu'on frappa à la porte.

Elle ne détourna pas la tête, occupée à fignoler ses ongles avec sa lime. De toute façon, Elle avait reconnu le pas et l'odeur de Mary.

Je... je me suis occupée de votre robe mademoiselle.

L'humaine ne lui adressa pas un regard et alla d'elle-même accrocher la robe à un cintre, dans l'une des armoires déjà bourrés de vêtements miteux. Oh... il fallait qu'elle pense à les vider. Si elle devait laisser une ou deux affaires ici...

Euh... Monsieur von Dast vous a demandé.

Ah ? s'enquit Kate avec un manque d'intérêt croissant. Quand ça ?

L'humaine rougit et bafouilla. Elle n'avait pas l'habitude de donner des ordres à sa maîtresse. Mais elle ne savait pas qui du prince ou d'elle était le plus terrifiant. Sans doute Kate. Elle avait menacé de faire des choses horribles à sa famille.

A l'instant. Il vous demande de le rejoindre dans la bibliothèque...

Kate cessa de limer son ongle, et elle regarda le plafond. Elle allait peut-être se faire engueuler si elle le faisait attendre. Ou alors il s'en tamponnerait. Oui, elle penchait plutôt pour cette option. Néanmoins, elle quitta son fauteuil.

Range cette chambre. Lit fait, et vide au moins l'une des armoires. Et fais la poussière. Je veux que mon bain soit prêt pour au moins une heure avant le lever du jour.

Oui mademoiselle.

Et trouve moi à bouffer.

Elle n'attendit pas de réponse, et ne terrifia pas plus sa servante. Pas la peine. Avant, elle disait « trouve-moi à bouffer, ou c'est toi que je saigne ». Mais le message était passé depuis longtemps maintenant.

Kate grimpa un escalier, et remarqua les traces de boue sur le sol. Elle se donnait l'impression de jouer au petit poucet... Elle arriva jusqu'à la bibliothèque, et s'arrêta sur le seuil. Yvan s'était installé à une table, avec une pile de livres. Elle s'approcha de lui, et sans même un bonsoir, elle examina les titres des ouvrages. Sorcellerie et invocations ? Tout cela était très intéressant.

Que puis-je pour mon prince noir préféré ?

Elle jeta un œil autour d'elle, examinant les lieux. Et elle ajouta :

Au fait... et ce piano ?

Yvan lisait vite. Aussi, il avait déjà rejeté trois livres lorsqu'elle le rejoignit, sans un salut. Il parcourait "Hoccus poccus et autres erreurs de débutant", un ouvrage qui ne lui servirait probablement à rien mais on ne savait jamais. Il aurait pu passer à côté d'un détail tout bête.
Yvan leva à peine les yeux sur Kate, le temps d'une seconde, le temps de tourner sa page.

"J'aimerai que tu m'aides à trouver une solution concernant..."

Il fut alors coupé par la vampire, qui quémandait son piano. Oh, il avait totalement occulté cette histoire. Yvan soupira.

"Nous n'avons guère le temps pour ce genre de frivolités."

Et il se réinstalla dans son siège, reprenant sa lecture avec assiduité. Juste à cet instant, il bâilla. Il avait bâillé ? Rares étaient les fois où un vampire bâillait, non intentionnellement. Cela devait vraiment terriblement l'ennuyer. Il marqua un temps d'arrêt de trois petites secondes, puis referma le livre qu'il jeta au milieu des autres, éparpillés sur la table. Le prince se leva et se dirigea vers le couloir.

"Très bien. Allons nous distraire un peu. Nous reprendrons plus tard."

Restait cependant à retrouver ce piano. Il ne l'avait pas vu dans le petit salon, ni la salle de réception. Peut être aurait il plus de chances dans la salle de musique à proprement parler.
En chemin, il jeta un petit coup d’œil à Kate. Ses cheveux étaient noués en une queue de cheval, légèrement bouclés. Ses épaules étaient dénudées et son haut laissait voir un début de poitrine.

"Tu es jolie."

Il aimait bien les filles à la mode Gothik. Boucles, décolletés, féminité. Bien sûr, le short gâchait un peu l'ensemble, mais il n'avait pas engagé Kate pour parader en société.

Ils parvinrent à la fameuse salle de musique. La porte était défoncée, avec un gros trou au milieu. Il ne savait pas ce qui était passé par là, mais il y avait eu des dégâts. Yvan passa à travers le battant et s'avança au milieu du désordre. Les cuivres avaient subi, éparpillés sur le sol, tordus. Le prince arpenta un peu la pièce. Il espérait ne pas tomber sur le violon de son frère, en miettes. Dans le fond, il distingua une grosse forme et il espéra. En même temps, il craignait de trouver quelque chose de pitoyable.
Aussi, il ne se pressa pas. Il enjamba les chaises renversées, lentement. Et le rejoignit bien trop vite. Il avait l'air intact, c'était encore plus inquiétant. La déception pourrait être immense. Ses doigts accrochèrent le drap qui recouvrait l'instrument et Yvan marqua une hésitation. Il fallait bien le découvrir un jour pourtant. Alors, il tira le tissu.

Il était là. Tel qu'il l'avait vu la dernière fois. Pas une trace. Son noir brillait. Les touches d'ivoire étaient juste un peu poussiéreuses. Yvan prit place sur le banc et passa sa main sur le piano. Il avait l'impression de retrouver un ami perdu. Sans doute parce qu'il était soudain bien seul dans ce grand château qu'il avait toujours connu très animé. Se reprenant, il se souvint de la présence de Kate et de la raison de leur présence ici.

"Voici. Nous pouvons le transporter ailleurs. Dans le petit salon, au rez-de-chaussée."

Oui, cela lui plairait bien.

Oh Diable mais quel suspense, comment pourrais-je survivre sans savoir ce que je dois chercher?s'amusa à penser Kate lorsqu'il ne termina pas sa phrase. Et puis il l'envoya bouler pour le piano. Bah... elle allait devoir se trouver quelqu'un à tuer alors...

Elle attrapa un livre qu'il n'avait pas encore l'air d'avoir consulté, mais elle se contenta de l'ouvrir. Il venait de bailler. Elle avait presque pu voir ses amygdales. Très élégant. Il abandonna aussitôt le livre et sembla se raviser, pour le piano.

Elle se décida à lui emboîter le pas, tout en en observant les couloirs. Il y avait encore quelques tableaux sur les murs. Aucun en bon état. Ou peut-être celui-ci... Elle ne s'attarda pas devant le tableau pour identifier la personne qui y était représentée. Elle sentait le regard d'Yvan peser sur elle. Et lorsqu'il lui fit un compliment, elle crut avoir mal entendu.

Merci, tu n'es pas mal non plus.

Eh bien ça... Elle ne s'y attendait pas. Mais elle ne fit pas non plus une fixation dessus. C'était juste des mots hein.

Il eut l'air d'avoir un temps d'arrêt en arrivant devant une porte comportant un trou béant. Ça devait lui faire un petit quelque chose de voir sa maison dans cet état... Et il est vrai que la salle de musique était dans un salle état. La plupart des instruments avaient été proprement massacré. A part quelques instruments à corde, mais peut-être trop abîmé pour produire un son convenable. Elle n'avait pas touché à un violon ou un violoncelle depuis des années en plus. En revanche, le piano -ou ce qu'elle supposait être le piano- avait l'air d'encore tenir debout, sous un drap.

Elle laissa Yvan retirer le drap et s'installer à l'instrument. Elle croisa les bras, s'adossant contre le mur pendant qu'il semblait dans son petit moment de recueillement. Et puis il sembla se rappeler qu'elle était là. Et il proposait de déplacer l'instrument. Ce n'était pas une si mauvaise idée. Jouer au milieu de cadavres d'instrument, ce n'était pas des plus engageants.

Elle se détourna, et arracha le reste de porte de ses gonds. Puis, comme si de rien n'était, elle abandonna le pan de bois dans un coin, et s'approcha jusqu'au piano, le soulevant par un bout. Elle attendit qu'Yvan se place à l'autre bout, puis l'instrument se décolla du sol. Regardant par-dessus son épaule, elle enjamba les débris qui jonchaient le sol.

L'étape de la porte fut plus délicate, mais l'instrument passa. Puis il fallut franchir une autre étape, celle des escaliers. Et enfin, le passage de la porte du petit salon. Mais le piano atteignit ce dernier sans dégât. Ils le déposèrent dans un coin libre, et Kate attira un fauteuil. Ils n'avaient pas pu emmener le tabouret qui allait avec le piano. Et puis... elle avait envie de voir si l'instrument était en aussi bonne état qu'il en avait l'air avant de retourner le chercher.

Elle s'assit devant, et laissa courir ses doigts sur les touches couvertes de poussières. Il ne sonnait pas trop mal, après toutes ces années d'abandon. Elle joua une mélodie simple, mais qui utilisait un nombre important de notes, laissant courir les doigts de sa main droite. Puis elle posa sa main gauche sur le piano.

Et une autre mélodie, plus complexe, s'éleva dans la pièce. Elle avait plusieurs siècles de pratique. C'était presque devenu un automatisme que de jouer. Elle acheva l'ouverture de la pièce musicale qu'elle avait choisi, et son verdict tomba, à haute voix.

Il sonne bien. C'est le tien je suppose ?

Pas mal non plus ? Yvan détourna les yeux pour regarder devant lui, les mains dans le dos. Il était plus que "pas mal". Il était beau, princier, magnifique. Certes, il avait des lunettes. Mais elles ne déformaient pas du tout son visage ! Elles lui donnaient même un petit air d'intellectuel sexy et aventurier.

Les deux vampires parvinrent à emporter le piano jusque dans le petit salon. Le Prince Noir fit en sorte qu'ils l'installent juste à l'endroit où il avait l'habitude d'être de son vivant. Enfin, de son premier vivant. Il laissa Kate s'installer et l'écouta jouer, après avoir pris place dans le fauteuil de sa mère. Holly avait l'habitude de le regarder jouer d'ici. Ils étaient alors seuls tous les deux. Il n'y avait jamais eu que sa mère pour écouter ses morceaux en entier. Pas que les autres s'en désintéressaient, bien au contraire. Mais à chaque fois que quelqu'un d'autre qu'elle, même un frère ou son père, le surprenait, il cessait aussitôt. Un jour, Emilien avait dit en plaisantant : "Je crois que celle qui méritera un air de notre Yvan deviendra son épouse." Et puis, il était parti dans un grand rire.
Alors qu'il se remémorait tout cela, Yvan souriait, un regard tendre rivé sur le piano et les touches agitées.

La mélodie s'acheva alors et Yvan revint dans le monde présent. Kate avait visé juste. Il se contenta de hocher la tête avec un air grave. On pouvait déceler une sorte de tristesse dans son regard. Il se leva et rejoignit la porte donnant sur le couloir. Sans regarder sa compagne, il lui signala sur un ton dénué d'énergie :

"Je retourne travailler."

Qu'elle fasse ce qu'elle voulait. Il avait besoin de réfléchir.
Une fois de retour parmi ses livres, Yvan était semblait il plongé dans un nouveau recueil d'incantations et de sortilèges. Mais s'il fixait les mots, il ne les comprenait pas. Son attention toute entière était centrée sur sa famille. Il commençait à se rendre compte de sa solitude. Jusque là, il n'avait pensé qu'à faire renaitre Gothik City de ses cendres. Mais lui ? Plus de parents. Ulrick était mort. Son autre frère et sa petite sœur perdus ailleurs. Est ce qu'il ne devrait pas les retrouver avant toute chose. Il n'en serait que plus fort. Mais... La vérité était qu'il avait peur d'être déçu. Il préférait se fier à une inconnue sur laquelle il ne comptait pas réellement. C'était tellement plus facile.

Kate eut le temps d'apercevoir un sourire qui étirait les lèvres d'Yvan, pendant qu'elle jouait. Oh, ainsi donc le Prince Noir n'était pas aussi dénué d'émotions que le disait sa réputation bien sombre ? Intéressant...

Il hocha la tête pour lui répondre. Elle repéra la lueur dans ses yeux, pendant ce bref geste, mais elle ne parvint pas réellement à l'identifier. Hum... il fallait qu'elle y réfléchisse. Parce que ça ne pouvait pas être de la tristesse. Si... ?

Il lui annonça qu'il retournait travailler. Elle préféra rester devant le piano encore un peu, le temps d'une nouvelle partie du morceau qu'elle avait choisi. Il avait l'air absorbé par ses pensées. on lui avait appris que c'était une convention sociale courante que de laisser les gens seuls lorsqu'ils en éprouvaient le besoin. Et là, il avait l'air d'en avoir besoin. Sa famille lui manquait peut-être. C'était bizarre, comme concept. Encore plus pour elle qui avait tué trois des membres de la sienne proche. Enfin... tuée l'une et torturés les deux autres.

Bon, elle estimait lui avoir laissé un délai respectable. Au pire, elle s'éclipserait discrètement. Elle quitta le petit salon pour rejoindre la bibliothèque. Elle s'installa à une chaise, face à Yvan, et se renseigna :

Alors ? Quelle est donc cette chose que tu recherches si ardemment ?

Yvan entendait le piano en fond, au loin. Cela lui plaisait. Non, que Kate joue sur sa propriété ne le dérangeait pas. Kate était... Il ne parvenait pas à la voir comme une personne à part entière, qui pouvait influer sur son monde. Il ne la contrôlait pas, tout comme il avait le sentiment que personne ne le pouvait. Ca aurait été un autre étranger à sa famille, il lui aurait probablement arraché la tête. Mais il y avait aussi qu'il ne pouvait se résoudre à jouer devant quelqu'un, encore moins pour quelqu'un. Et il aimait le son de ce piano. Juste celui là. Car il avait horreur du piano autrement. Le son ne le captivait pas, lui paraissait dénué d'âme. Voilà pourquoi cet instrument en particulier lui appartenait. Il avait su le séduire. Un mouton noir parmi ses pairs. Une déception pour bien d'autres, un trésor pour lui. Non, Yvan n'était pas aussi conventionnel que tout le monde voulait bien le croire.

La musique cessa et Yvan sortit de ses pensées, pour se replonger sur son problème. Il devait se reprendre avant que Kate n'arrive. Aussi, lorsque la vampire s'installa face à lui et se proposa de l'aider par un chemin détourné, il avait replongé dans son étude.

"Haa... Et bien, je veux trouver un moyen de briser la défense de Kalingrad. Ils ont fait un pacte avec un démon. Je dois d'abord trouver qui. J'ai pu identifier les formules d'un démon d'ordre supérieur, mais je ne retrouve pas la bonne incantation. Aucun ouvrage n'a répertorié la totalité des invocations jusqu'à présent et celles des démons supérieurs sont plus difficiles encore à trouver."

Il arracha une page de garde d'un livre pour débutants et saisit sa plume, qu'il trempa dans l'encre noir. Il savait bien que lorsqu'il faisait des recherches, il finissait par gribouiller et avait donc tout prévu. Yvan retranscrit de mémoire l'incantation sur la papier, rapidement, et fit glisser la feuille jaunies par le temps en direction de Kate.

"Il suffit de retrouver ce texte dans tous ces livres."

Le texte en question était en langue démoniaque, impossible à traduire. Et sur ses bras, les symboles tatoués y ressemblaient beaucoup, sauf qu'il s'agirait alors de nouveaux caractères, ou de caractères dérivés. Yvan n'en avait jamais vu aucun.

Kate rejeta la tête en arrière, écoutant les explications d'Yvan. Oh, une quête de démons supérieurs... Effectivement, il serait beaucoup plus facile pour elle ensuite de botter les fesses des Kalingrad sans ce petit problème de démon.

Il arracha une page d'un ouvrage pour y gribouiller, avant de lui tendre la feuille. Ecriture démoniaque. Elle s'y attendait. Mais retrouver ça dans des ouvrages divers allait se révéler un peu plus complexe.

Je devrai te trouver un carnet. Ça t'éviterait de massacrer la page de garde d'un livre innocent.

Elle attrapa le premier des livres, le feuilletant rapidement. Elle ne lisait qu'un mot sur trois. Et encore. Mais c'était bien suffisant pour saisir le sens d'une phrase. Elle jeta à nouveau un œil au croquis d'Yvan. Elle avait l'impression d'avoir déjà vu ces symboles quelque part. Mais ailleurs que chez les Kalingrad. Ou tout du moins, des symboles qui y ressemblaient. Un livre de sa bibliothèque peut-être. Pendant un temps, son père avait mûri l'idée de passer un pacte de ce type.

Mais elle avait la flemme d'aller jusqu'à son manoir. Il fallait traverser une partie de la ville, et peut-être qu'elle n'était même plus en possession de cette ouvrage.

Elle trouva un passage intéressant dans le livre qu'elle consultait. Elle attrapa la feuille gribouillée par Yvan, et en arracha un morceau pour s'en servir de marque-page. Elle était déjà fichue de toute façon... Et elle poursuivit son examen de l'ouvrage, se tournant sur sa chaise pour poser ses pieds sur celle d'à côté. Elle ne faisait même plus attention à son compagnon.

A la remarque de Kate, Yvan fronça les sourcils et secoua sa plume dans sa direction. Une goutte d'encre noire alla tâcher la joue de la vampire. Yvan ne s'en amusa pas plus que cela et retourna à sa lecture.

Les heures passèrent, longues et pénibles. Yvan était retourné chercher d'autres piles de livres. Ces derniers s'étalaient partout. Sur la table, sur le sol, sur les jambes étirées d'Yvan. Il avait croisé ses chevilles et posé ses talons sur le bord de la table, lui assis en travers de sa chaise, l'un de ses coudes reposant sur l'accoudoir.
La lassitude commençait à lui peser et il jeta son énième ouvrage sur le côté. Il atterrit dans un petit "pof" parmi ses copains. Yvan étira longuement ses muscles et posa ses doigts sur la couverture d'un autre livre. Ne l'avait il pas déjà parcouru celui ci ? C'était désespérant. Ni l'un ni l'autre n'avaient trouvé quoi que ce soit de réellement intéressant. Il y avait bien une pile de "potentiellement utiles", mais aucune réponse concrète.

"Et si nous faisions une pause ? Au moins pour remplacer les chandelles."

Ces dernières étaient en effet déjà presque totalement fondues. Yvan ramena ses longues jambes à lui et posa ses pieds à terre pour se lever. Il monta à l'étage pour récupérer quelques bougies. Alors qu'il faisait demi tour, il s'arrêta. Ce livre... Valérian l'avait oublié là. Peut être que... Yvan le rapporta à la pleine lumière et laissa choir ses chandelles neuves au milieu de la table, où elles s'éparpillèrent entre les livres. Il fouilla rapidement le livre, tournant les pages en s'arrêtant quelques secondes sur les invocations. Il espérait que ce soit le bon mais... En même temps, il n'y croyait pas.

"HA ! JE L'AI !"

Il posa un index décidé sur le texte. Il en revenait à peine et vérifia plusieurs fois. Mais oui, c'était bien celle ci.

"Oh... fit-il, soudain moins enjoué. Regarde. Au moins, ça leur correspond bien."

Il fit glisser le livre vers Kate, afin qu'elle lise quel était le démon apparenté. Il s'agissait d'un des plus puissants du compendium. Extrêmement retord et malin. Très difficile à convoquer. Si les Kalingrad avaient réussi à obtenir ses services, ça allait être encore plus difficile qu'il ne l'avait imaginé.

Incantation pour Alouka.
Démon femelle à la fois succube et vampire qui épuise les hommes et les conduit au suicide.
Humaine, transformée en vampire, bafouée de nombreuses fois, sa colère phénoménale lui a fait acquérir une puissance hors du commun qui, à sa mort, la conduisit parmi les plus hautes sphères du monde démoniaque. Officiellement sous les ordres d'Asmodeus, elle est bien plus complexe à invoquer que lui et à contrôler, d'autant plus à contrer.

Kate ferma les yeux, par réflexe, en voyant le mouvement qu'Yvan fit avec sa plume. Et elle sentit une goutte d'eau atterrir sur sa joue. Oh, il allait le lui payer à un moment... Elle renonça à frotter la tâche d'encre. Autant attendre son bain.

Le temps s'écoulait lentement. Peut-être avaient-ils cette impression parce que ni l'un ni l'autre n'avait trouvé quelque chose de réellement intéressant. C'était chiant... Elle avait envie d'aller butter quelqu'un. Et elle avait de plus en plus la dalle.

Et puis Yvan annonça une pause. Magnifique. Elle reposa ses pieds sur le sol. Peut-être qu'elle aurait le temps de trouver Mary pour avoir du sang. Si elle n'avait rien trouvé, elle la sucerait elle, ça lui apprendrait.

Elle se leva, à la suite d'Yvan, mais pour se diriger hors de la bibliothèque. Elle était encore à quelques pas de la porte lorsqu'elle entendit le cri de triomphe du Prince Noir. Ah ? Quelque chose d'intéressant ? Elle décida de revenir vers la table au moment où il y abandonna un paquet de chandelles neuves. Il ressemblait à un gosse qui aurait eu les cadeaux qu'il souhaitait à son anniversaire.

Mais sa joie fut de courte durée. Ça, ça puait les ennuis quand même.

Elle attrapa le livre qu'il lui tendit, le levant à hauteur de ses yeux. Alouka... blablabla... Oh... Intéressant... Elle avait la même chose avec quelques uns de ses maris... blablabla...

Ça pue les emmerdes... lâcha-t-elle. Mais difficile à contrer ne veut pas dire impossible. Quelles sont nos options ?

Kate avait bien résumé la situation. D'une manière quelque peu familière, mais il s'agissait bien de cela. Voilà qui avait gâchée la vision romantique et Gothik que le prince avait de son exécutrice. Mais là n'était pas la principale question.
Yvan posa les mains sur le bord de la table et balaya tous les ouvrages du regard.

"Nos options... Elles ne sont pas nombreuses. Le point essentiel réside dans l'annulation du contrat, ce que j'ai tenté de faire. Malheureusement, il devait y avoir d'autres protections qui nous ont fait repérer. Je ne m'attendais pas à Alouka, sinon j'aurai été beaucoup plus méticuleux. Et cela explique très bien l'attitude laxiste de Kalingrad. Il joue la surpuissance pour nous mettre à ses pieds sans risquer le conflit, voilà qui lui ressemble bien. Tout comme invoquer un démon de la luxure, aussi perfide qu'elle."

Il marqua une petite pause, le temps de remettre de l'ordre dans ses idées. Il se retourna et s'assit sur la table, les bras croisés.

"Pour parvenir à détruire ce lien qui les unit, il nous faudra une puissance au moins équivalente. Parce que Kalingrad ne nous laissera plus approcher. L'autre nuit, la sécurité était relâchée par rapport à d'habitude, à cause de la fête chez les Castellis. Mais après notre passage, il a dû la renforcer. Nous n'avons aucune chance de nous infiltrer je pense. A moins de n'être que du vent..."

Il leva la tête vers Kate.

"Des suggestions ?"

Évidemment. Cela aurait été beaucoup trop facile s'ils avaient eu des solutions à foisons. Elle commença à faire les cents pas. Elle était restée trop longtemps assise, à feuilleter des livres, elle avait besoin de mouvement. Ça ne l'empêcha pas d'écouter Yvan avec attention.

Annuler un contrat ? Oh... facile... Et c'est sûre que le démon en question avait l'air sacrément vicelard, alors ça n'allait vraiment pas être de la tarte. Les choses ne jouaient pas vraiment en leur faveur. Ils seraient attendus chez les Kalingrad. Et une infiltration était aussi suicidaire qu'un passage en force. Elle savait être discrète, bien sûr. Mais elle avait des limites.

Elle se retourna presque gracieusement vers lui lorsqu'il lui demanda si elle avait des idées.

Peut-être une.

Elle prit le temps d'y réfléchir encore, se remettant à marcher. C'était dangereux, non pas que ça lui faisait peur, juste qu'elle préférait s'éviter d'éventuelles souffrances inutiles. Parce que Kalingrad n'était pas si bête. Enfin... si. Mais il allait quand même être un peu méfiant. Et elle avait besoin de détails pour expliquer ce brusque changement...

Kalingrad. Il a essayé de m'acheter.

Elle s'arrêta de marcher.

Je peux faire mine d'avoir accepté sa proposition. M'infiltrer dans sa demeure. Et t'y faire entrer au besoin.

L'idée était lancée. Mais elle ne lui laissa pas le temps d'y réfléchir et détailla aussitôt les quelques failles de son plan.

L'ennui... c'est qu'il ne va pas me faire confiance immédiatement, cela va donc prendre du temps. Qu'il va falloir que j'explique pourquoi j'ai changé d'avis alors que je viens de m'installer au château et que j'ai pris la peine d'aller te chercher. Et... Il va probablement falloir que je... couche avec ce porc.

Et ça, ça l'emmerdait franchement. Même si tenir un homme par les couilles étaient le meilleur moyen d'obtenir de lui tout ce que l'on désirait, Kalingrad n'était... pas du tout son genre.

Yvan écouta l'idée de Kate avec attention. Tromper Kalingrad, s'infiltrer et le faire pénétrer dans la demeure ? La toute première partie était certainement faisable. Mais il doutait sérieusement de la réussite du reste. Kate se chargea immédiatement de soulever les faiblesses de ce plan avant qu'Yvan ne puisse y penser plus avant. Evidemment, il faudrait du temps. Et de la persuasion. Beaucoup de persuasion.
Yvan soupira et fixa Kate dans les yeux. A la guerre comme à la guerre. Elle allait bien vite comprendre pourquoi il était un général réputé. Impitoyable. Pour le bien de la City, peu importait le nombre de sacrifices.

"Et cela te dérangerai tant que ça de coucher avec lui ? Il doit sûrement être un bon coup. Il est un Kalingrad après tout, il s'agit là d'un indice non négligeable."

Le visage du prince était fermé. Est ce que ça le dérangeait que Kalingrad touche à son exécutrice personnelle ? Non. Est-ce que ça le démangeait de passer avant lui ? Peut être... Les raisons restaient obscures et il n'avait pas l'intention d'y réfléchir maintenant. Ce n'était pas le moment.
En tout cas, envoyer Kate était tellement risqué. Peut être que ça resterait inutile. Même infiltré chez les Kalingrad, il n'était pas certain de réussir son coup. Il avait parlé d'une force au moins équivalente à Alouka. Kate n'était même pas un...

Yvan affichait l'expression du mec qui avait eu une illumination. Oui, exactement celle là. Mais il restait assez sévère de figure, même comme cela. Il entrouvrit les lèvres, garda le silence un instant, repassant son idée dans sa tête, puis se retourna à nouveau pour faire face au livre. Il relu inutilement le paragraphe sur Alouka.

"Oui... Mais ce temps, nous pourrions le mettre à profit. Je pourrai agir pendant que tu convaincs Kalingrad de ta bonne... volonté. Je pourrai m'octroyer un pouvoir assez fort pour pouvoir lutter à armes égales."

Mais plus précis, il ne voyait pas. Qui invoquer ? A part Satan lui même... Et Satan était beaucoup trop instable, même si on réussissait à le séduire pour le rallier à sa cause. L'opération était beaucoup trop importante pour prendre ce risque. Yvan secoua la tête et referma l'ouvrage.

"Bon. C'est déjà un début. La nuit est avancée. Nous devrions prendre l'air."

Nan, c'était pas que ça la dérangeait de se le faire. Du sexe restait du sexe. Ce n'était pas qu'elle avait du ressentiment pour Kalingrad, elle n'avait pas de sentiment. Juste qu'elle aurait préféré le butter plutôt que se le faire. Elle avait déjà pensé à ça chez les Kalingrad, et elle se le répéta. L'un n'empêchait pas forcément l'autre.

Oooooh, après le visage du gamin le jour de son anniversaire, celle de l'illumination diabolique. Il avait résolu l'autre partie du problème peut-être. Trouver la puissance nécessaire. Quant à convaincre Kalingrad... Elle allait vraiment devoir se le faire hein...

Oh, prendre l'air. Merveilleux.

Je vais prendre mon manteau.

Elle quitta la bibliothèque sans plus de cérémonie. Elle récupérait son manteau dans sa chambre, et elle le rejoindrait ensuite devant les portes du château. Et après, elle prendrait un petit quart d'heure pour se trouver à manger. De toute façon, en l'état, ils ne pouvaient rien faire. Il leur fallait du temps pour y réfléchir.

Kate ne répondit rien, de sorte qu'Yvan ne sut pas de quel genre de silence il s'agissait. Acceptait elle de se prostituer ? Peut être avait elle besoin d'y réfléchir. Elle partit chercher son manteau et Yvan s'occupa de moucher les chandelles. Un manteau ? Pour quoi faire ? se demanda-t-il en allant chercher sa belle cape.

Une fois dehors, il put constater qu'il pleuvait encore, détail auquel il prêta attention lorsqu'il se reçut une douche froide dès le perron dépassé. Il s'en fichait pas mal mais remonta le col de sa cape pour éviter que l'eau de coule dans son cou, il avait horreur de cette sensation.
Le prince attendit Kate et fit un bout de chemin avec elle, dans le plus grand silence. Ils écoutèrent la pluie jusqu'au grand portail, où Yvan fut salué par le garde. Il n'en restait qu'une petite dizaine postée autour du domaine.

"A tout à l'heure."

Chacun partit de son côté. Yvan, lui, alla faire les magasins.

Deux heures plus tard, le vampire était de retour au château. Il retira sa cape dégoulinante dans le hall, qu'il suspendit sur la rampe de l'escalier, puis monta ses achats dans sa chambre. Il ignorait si Kate était déjà de retour. Cela n'avait pas d'importance pour le moment.
Yvan avait réussi à trouver des draps neufs et quelques vêtements pour lui. Il avait aussi pris de nouvelles bougies. Le tout payé avec le peu d'argent qu'il avait déniché au château. Il arpenta ensuite les couloirs de la maison jusqu'à trouver la servante de Kate, ce qui ne tarda pas. Un humain n'était pas difficile à repérer dans un lieu aussi vide. Il lui confia des draps pour sa maîtresse et redescendit au petit salon. Il y retrouva son piano et le couva du regard. Mais avant de se jeter sur ses touches, il entreprit d'allumer un feu dans la cheminée. Elle n'avait pas été utilisée depuis longtemps et était incroyablement sale. Il réussit néanmoins à obtenir un foyer aux lueurs réconfortantes, qui donnaient cette atmosphère si particulière à la pièce. Yvan alluma aussi quelques bougies, mais très peu. Il ferma les grands rideaux noirs et s'installa enfin au piano.

Il ne fut pas hésitant et commença immédiatement à jouer. Très vite, ses automatismes revinrent et il ferma les yeux. Le son, l'ambiance, la faible chaleur, l'odeur. Il sourit. Il imaginait sa famille près de lui. A leurs places habituelles. Emilien et Holly côte à côte sur le divan, Ulrick sur son fauteuil, face à la cheminée. Lucie dans un fauteuil haut, séparé de son frère par la table basse et, derrière elle, le feu. Elijah, accoudé au manteau de la cheminée, un livre à la main. Voilà. Il retrouvait tout ça. Tout ce qui était devenu pour lui inaliénable. Et qui était aujourd'hui perdu.

Kate arrangea le col de son manteau en franchissant la porte du château. Oh Diable... Il tombait un véritable déluge... Ses cheveux allaient être dans un état...

Ils se séparèrent à l'angle d'une rue, lorsqu'elle tourna à gauche, il prit lui à droite. Elle avait besoin d'une chose ou deux au manoir. Et elle avait faiiim.

Elle grimpa sur les toits dès qu'elle le put. De là, elle huma l'air, et repéra un humain. Ah... de la nourriture.

Elle sauta de toit en toit avec élégance, et repéra l'humain, dans la rue en contre-bas, quelques minutes plus tard. Elle le suivit pendant quelques pas, histoire d'en évaluer la qualité. Il avait l'air jeune. En a peu près bonne santé. Il toussa, contredisant ce qu'elle venait de penser. Oh... après tout, un humain restait un humain.

Elle le dépassa, et sauta dans la rue, de manière à atterrir juste devant lui. Bien évidemment, il prit peur. Mais elle ne lui laissa pas le temps de s'enfuir, et elle le plaqua violemment contre le mur. Avant qu'il n'ait pus réagir, elle planta ses crocs dans la chair tendre de son cou.

Son sang était tout juste potable songea-t-elle pendant qu'elle le vidait de son sang et qu'il lâchait un petit râle de douleur. Elle tiendrait quelques jours avec ça...

Elle se lécha les lèvres lorsqu'elle eut terminé, laissant tomber le cadavre sur le sol. Autant ne pas gâcher la nourriture, elle se faisait rare ces temps-ci.

Elle regarda autour d'elle, pour s'orienter. Elle n'était pas très loin du manoir. Elle préféra flâner dans les rues plutôt que de traverser le quartier par les toits. Elle était déjà trempée de toute façon. En fait, lorsqu'elle entra chez elle, elle dégoulina carrément sur le sol.

Elle abandonna son manteau dans l'entrée, l'accrochant à un porte-manteau. Il sècherait au moins un peu pendant qu'elle récupérait ce qui lui manquait.

Nich salua-t-elle le crâne de son frère. Père ajouta-t-elle ensuite.

Elle grimpa les escaliers quatre à quatre et récupéra un sac dans son armoire. Elle y fourra un ou deux vêtements supplémentaires, puis elle rejoignit la bibliothèque.

Elle avait des tas de partitions là-bas. Et vu que sa seule occupation au manoir allait consister en cet instrument... Elle se dirigea directement vers son piano. Il était beaucoup plus imposant que celui d'Yvan. Son père aimait le côté théâtral du piano à queue. Elle trouvait ça juste pratique pour étaler les partitions dessus et les avoir à portée.

Elle en récupéra un tas qu'elle glissa dans une reliure en cuir, puis entre ses vêtements. Au moins, cela le protégerait de la pluie.

Elle fit demi-tour, traversa le couloir, et dépassa sa chambre, mais elle s'arrêta. Elle allait manquer de lime à ongle. Elle retourna dans sa chambre, ouvrit son tiroir et récupéra un paquet de lime. Bon... il était temps d'affronter la pluie de nouveau...

Elle renfila son manteau trempé par la pluie, son sac dissimulé en-dessous. Elle ne s'attarda pas dans les rues cette fois. Elle s'était assez dégourdie les jambes pour aujourd'hui.

Elle arriva dans le hall du château. Yvan n'avait pas l'air d'être rentré. Elle laissa des flaques d'eau derrière elle pendant qu'elle retournait dans sa chambre. Elle laissa sécher son manteau sur un fauteuil, et attrapa une serviette pour se sécher les cheveux. Elle jeta un œil à son reflet terni. Diable... elle avait des bouclettes...

Elle allait se diriger dans la salle de bain attenante à la chambre, histoire de prendre son bain, lorsqu'un son retint son attention. Le piano. Yvan... ?

Intriguée, elle ressortit de sa chambre, la serviette qui avait servi à essuyer ses cheveux trempés dans une main. La porte du petit salon était ouverte. Elle s'arrêta sur le seuil. Yvan n'avait pas l'air de l'avoir remarqué. Sûrement trop habité par la musique. Il se débrouillait bien. Encore heureux. Son père avait voulu qu'elle apprenne le piano pour faire comme les enfants von Dast. S'il avait été nul, cela aurait voulu dire qu'elle avait travaillé pendant des années pour rien.

Elle croisa les bras, appuyant son épaule contre le chambranle de la porte. Elle connaissait cet air. Mais elle ne se souvenait plus du titre.

Yvan était complètement plongé dans ses souvenirs, emporté par la musique. Ce fut pas un bruit, une odeur, qui attira son attention. Mais seulement son intuition. Il y avait quelqu'un. Il crut d'abord que c'était l'un des serviteurs humains, de loin, et cessa de jouer avant d'ouvrir les yeux. Il s'était fourvoyé.

Le prince se leva aussitôt et fonça en direction de Kate, sans la regarder. Et il la croisa, sans la toucher, pour avancer à grandes enjambées dans le couloir qui donnait sur le hall. Sans mot dire, il s'éloigna de la vampire et grimpa les marches quatre à quatre. A l'étage, il ne ralentit pas, jusqu'à sa chambre, dans laquelle il s'enferma à double tour. Puis, il resta devant la porte, debout, l'air furieux à fixer la clef dans la serrure. Oui, il était en colère. Il avait été surpris en train de jouer et ignorait depuis combien de temps elle était là, à le regarder.
Yvan ne réussit pas à se calmer et brisa un bibelot sur le sol. Avant de fracasser le côté d'un coffre qui contenait divers papiers.

Le prince se déshabilla, rageur, jetant ses vêtements à terre sans y faire attention. Puis, il se glissa sous le drap, avant de se rendre compte qu'il ne l'avait pas changé avec un de ses achats. Tant pis, il s'occuperait de cela le lendemain. Le soleil ne tarderait pas à se lever. En attendant, il allait tâcher de dormir.
Yvan ferma les yeux et écouta la pluie frapper la terre, la vitre, le toit. Il aimait ce son, il aimait l'odeur des plantes humides qui filtrait par sa fenêtre légèrement entrouverte. Et il finit par se calmer, puis s'endormir.

Kate n'était pas sûre, mais visiblement, Yvan n'avait pas apprécié qu'elle se mette à l'observer jouer du piano. Il avait l'air furieux, oui, puisqu'il s'était enfui sans même la regarder. Mais en même temps, s'il l'était tant que ça, il lui aurait collé son poing dans la tête.

Elle entendit même la porte de sa chambre claquer avec fracas. Bon, ok, elle l'avait énervé. … Oups.

Enfin... il s'en remettrait. Et elle ne le referait plus à l'avenir, juré. Ou peut-être que si. Rien que pour l'embêter.

Elle pirouetta. Son bain devait l'attendre. Et il allait refroidir si elle tardait trop.

Elle remonta dans sa chambre, et abandonna ses vêtements sur le sol pour aller se glisser avec délice dans l'eau de son bain. Elle prit son temps pour se laver. A tel point que lorsqu'elle sortit du bac, et qu'elle se sécha, le soleil s'était levé.

Une serviette autour de la taille, elle allait tirer les rideaux, se retrouvant brièvement aveuglé par l'éclat du soleil matinal. Aouch... pas agréable. Elle devait songer à terrifier Mary demain, parce qu'elle n'avait pas pensé à fermé les rideaux.

Bon... où pouvait bien se trouvait sa nuisette dans ce désordre ?

Elle jeta un œil autour d'elle. Mary avait dû la ranger. Ou la mettre à laver. Elle soupira, et fit tomber la serviette sur le sol. Elle était fatiguée, et avait peut-être un peu trop mangé.

Elle se glissa entre les draps, entièrement nue, et alors qu'elle semblait à deux doigts de s'endormir, elle remarqua que les draps sentaient le propre, et non le moisi, comme ceux qu'elle avait eu dans son lit la nuit dernière. Oh chouette. Des draps neufs.

Il se réveilla à nouveau avec l'horloge du petit salon. Yvan se frotta la figure et s'extirpa de l'oreiller, se maintenant sur un coude. Il pleuvait encore cette nuit. Et la température avait baissé. Le prince se traina hors du drap et écarta le rideau. Oui, comme il le pensait, il y avait du brouillard.
Yvan fit volte face et chercha ses vêtements de la veille, éparpillé dans la pièce. Il devait prendre un bain. Mais comme il n'avait plus de serviteur et qu'il ne désirait pas perdre son temps à expliquer à ceux de Kate ce qu'il désirait, il descendit lui même tout habillé jusqu'au puits. Il rempli un chaudron d'eau, aidé par la pluie battante, et remonta la faire chauffer dans la cheminée de sa chambre. Sauf que cette fois, le conduit était trop encrassé. L'air ne venait pas nourrir le feu. Il abandonna et versa l'eau froide dans le baquet, avant de se déshabiller pour s'y baigner. Il plongea une jambe, puis se souvint alors de quelque chose. Toujours nu, il retourna dans la chambre et s'agenouilla devant le coffre qu'il avait malmené avant de se coucher. Il y avait des papiers, oui. Et surtout des lettres. Des lettres qui lui étaient adressées par son père.
Yvan ne savait plus exactement ce qu'il cherchait, mais la solution se trouvait dans ces lettres. Le prince rejoignit sa baignoire et plongea dans l'eau.

Il resta des heures ainsi, à lire chacune des lettres d'Emilien, réfléchissant sur le moindre détail. Yvan le sentait. Il était tout proche du but. Quand il aurait trouvé, il penserait que c'était d'une évidence enfantine. Et ça le faisait déjà sourire.

Kate s'assit dans son lit, se grattant la tête. Bon... se lever... S'habiller... Oh... elle allait encore s'ennuyer aujourd'hui... Yvan allait sûrement la bouder... Pfff... il fallait qu'elle pense à coucher avec, pour le décoincer... Mais dans l'immédiat, elle allait sûrement devoir se contenter du piano.

Elle attrapa des vêtements propres, mais renonça à ses bottes. Pas besoin, elle ne comptait pas sortir. Elle retourna près du sac qu'elle avait ramené du manoir la veille, et elle en sortit les partitions qu'elle en avait ramené.

Puisque c'était sa seule occupation, autant l'effectuer dans les règles. Elle feuilletait les partitions pendant qu'elle se rendait au petit salon, ses pieds nus ne faisant aucun bruit sur le sol de pierre froid. Yvan ne s'y trouvait visiblement pas, puisqu'elle ne l'entendait pas jouer.

Elle se décida pour un morceau et abandonna le reste des partitions sur le piano, déposant celle qu'elle avait élue sur le petit pupitre intégré à l'instrument. Alors voyons...

Elle commença à jouer de la main gauche. Un ensemble de trois notes qui se répétait plusieurs fois. Puis on montait d'un ton. Et la main droite entrait en scène, misant sur des tierces majeures. Trop facile... Oh franchement, elle aurait pu choisir plus complexe...

Elle abandonna aussitôt cette partition, et se décida pour une autre. Elle l'installa de nouveau sur le pupitre, et commença à jouer. Ah, l'air lui disait quelque chose. Il lui semblait que c'était celui qu'Yvan jouait la veille. Ou peut-être pas...

Yvan était en train d'examiner une lettre en particulier lorsqu'il l'entendit. Elle était faible, lointaine, mais présente. Cette musique. Celle là même qu'il avait joué la veille. Mais l'originale cette fois, pas la Dark Prince Version. Le vampire reposa la lettre sur une chaise et se leva... avant de se rendre compte qu'il n'était pas exactement propre. Il prit donc cinq minutes pour se savonner et une autre pour s'habiller. Il hésita ensuite, la main sur la poignée de la porte de sa chambre. Une fois qu'il se trouverait devant elle, qu'allait il faire ? La virer ? L'engueuler ? A quelle fin ? Ca ne le dérangeait pas réellement qu'elle joue sur son piano. Du moment qu'elle ne le surprenait pendant que lui faisait vibrer les cordes de son instrument. Mieux valait se concentrer sur quelque chose de plus important.

Une heure plus tard, Yvan ouvrit brusquement la porte du petit salon, déposa sa lettre et un gros livre sur le piano, puis attira la carafe de sang, ainsi que deux verres. Il en apporta un à Kate et leva le sien.

"Trinquons !" fit-il sans joie, mais avec un brin d'excitation. "J'ai la solution à nos problèmes."

Ses problèmes, devenus leurs problèmes. Yvan but une seule petite gorgée et ouvrit l'ouvrage à une page qu'il avait marquée.

"Il est dit ici : Et Satan engendra nombre d'enfants. Des humains, des démons, certains puissants, d'autres pauvres et faibles. Mais aucun ne fit autant parler de lui, ni autant la déception de son père, qu'Arioch le bannit."

Le prince posa son verre sur le piano et s'expliqua :

"Arioch est le plus puissant des enfants de Satan lui-même. En vérité, il est possible qu'il soit aussi puissant que son père. Seulement, il est très peu connu. Pourquoi ? Parce qu'il a été bannit par le Seigneur des Enfers. Le plus inquiétant étant que tout le monde en ignore la raison. Cela n'augure rien de bon, d'autant qu'il n'y a aucun témoignage d'invocation. On ignore à quoi il ressemble, ce dont il est capable, ses fourberies. Pourtant le rituel d'invocation a été découvert. Tout est inscrit ici."

Pas de témoignage, mais un rituel. Il y avait donc au moins une personne qui avait tenté de s'octroyer ses faveurs et y était parvenu. Au moins au début. Mais ensuite... Elle avait certainement dû mourir avant de pouvoir noter quoique ce soit.

"Reste que... Arioch est un bannit. Il est contrôlable, comme n'importe quel démon. Sauf Satan, ce qui en faisait une puissance inaccessible. Avec lui, nous avons le pouvoir et la maîtrise. Je vais certainement m'attirer les foudres du Seigneur mais je n'ai guère le choix."

Et il avait confiance en ses origines. Il pouvait du moins essayer. Après tout, il avait plus de chances d'en réchapper que n'importe qui d'autre.

"Es-tu prête à courir le risque de la souffrance éternelle ?"

Kate ne sursauta pas lorsqu'Yvan surgit brusquement dans le petit salon, laissant tomber un énorme pavé sur l'instrument. Ça ne la perturba pas plus que ça, puisqu'elle continua à jouer l'air qu'elle avait choisi.

Dis donc... mais il y avait une émotion sur son visage. Furtive, certes. Mais son prince noir préféré avait l'air tout excité. Il lui proposa même de traquer en lui apportant lui-même un verre de sang.

Elle abandonna le verre sur le piano, sans y toucher. Elle avait remarqué qu'il avait dit « nos problèmes ». Il lui faisait donc confiance pour l'inclure dans son équipe ? Fallait peut-être pas pousser. Mais c'était quand même intéressant.

Elle jeta un œil distrait à l'ouvrage qu'il lui présenta, écoutant très distraitement ce qu'il disait, sans s'arrêter de jouer. Arrêter en plein morceau, ça ne se faisait pas. Même si cette histoire de démon surpuissant que son père avait choisi de bannir était intéressante. Ça ressemblait aux histoires qu'elle adorait lire quand elle était gosse.

Ensuite... son cerveau se débrancha automatiquement. Trop de mots. C'était chiant. Elle retenu néanmoins l'idée essentielle. Démon inconnu, effets inconnus... Ennuis. Ça ne sonnait pas trop mal.

Les dernières notes de la musique s'éteignirent un peu avant la fin de l'explication d'Yvan. Elle se leva, récupéra son verre, et en avala une gorgée. Bon, elle avait quand même connu mieux, mais ce sang n'était pas mauvais. Elle en profita pour lire la page du livre qu'avait apporté Yvan en diagonale.

La souffrance éternelle hein ? releva-t-elle

Elle vida son verre et l'abandonna sur le piano, tournant le livre vers elle. Et elle remarqua aussi la lettre sur le piano. Elle l'attrapa du bout des doigts. et la déplia.

Ça semble prometteur. Ça mettra un peu d'animation dans ma vie. Quand commençons-nous ce rituel ?

Kate n'afficha aucune émotion particulière, bien évidemment. Et surtout pas la peur, l'hésitation. Cela évitait à Yvan d'avoir à la convaincre. Il n'était pas particulièrement dans ses habitudes de s'occuper des états d'âme de son entourage.

"En effet, la souffrance éternelle. Satan accorde bien rarement la mort pure et simple. Ce ne serait guère une punition appropriée à une forme de trahison, tu ne crois pas ?"

L'évidence même. Pour lui, coutumier des rituels satanistes, du moins en théorie, et de toutes ces histoires de religion. Lorsqu'on était prince de Gothik City, même militaire, il fallait s'atteler à emmagasiner toutes ces connaissances. Essentiel. Mais uniquement pour la famille Von Dast.

Son exécutrice consulta le chapitre relatant de l'invocation d'Arioch, qui comprenait une brève description du démon. Une brève description de presque une page entière, mais l'on n'était jamais trop précis en démonologie. Et plus particulièrement lorsque cela avait des fins d'invocation. Ainsi, pour Arioch, il n'y avait quasiment rien de réellement utile qui puisse leur sauver la mise. En d'autres termes, s'ils échouaient, il s'agirait d'une défaite totale.
Les doigts fins de la vampire s'emparèrent ensuite de la lettre. Yvan se raidit et la lui arracha des mains alors qu'elle venait juste de l'ouvrir. Le prince la déplia et la glissa à l'intérieur de sa chemise. Il n'avait nullement eu l'intention de faire part à Kate de son contenu.

"Il s'agit là d'un courrier privé," expliqua-t-il simplement.

De l'animation dans sa vie ? Soit. Peu importait ses raisons, du moment qu'Yvan obtenait ce qu'il désirait. Le prince s'installa dans le fauteuil de son défunt frère et se mit à fixer le foyer froid.

"Je l'ignore. J'hésite. A ton avis, vaut-il mieux attendre que tu t'infiltre chez Kalingrad ? Les démons ne sont pas très patients et Arioch... Il est possible qu'il le soit encore moins. Si nous l'invoquons et le faisons attendre, j'ignore ce qu'il en résulterait. Cela implique encore de te demander si tu es prête à prendre un risque."

Il tourna ses yeux violets vers elle, l'observant attentivement.

"Si je ne parviens pas à invoquer Arioch, tu pourrais te retrouver piégée chez Kalingrad."

Yvan lui retira la lettre des mains avant qu'elle n'ait pu en lire une ligne, justifiant par ce geste par le fait que c'était un courrier privé. Bon, d'accord. Elle n'avait jamais vraiment eu l'intention de la lire. Elle voulait juste voir de quoi il s'agissait.

Et puis elle réfléchit à sa demande. Mieux valait attendre. Qu'elle soit infiltrée chez les Kalingrad, et qu'elle tienne le père par les testicules. C'était le moins risqué. Sauf qu'Yvan donnait l'impression de s'inquiéter pour elle. Oh... comme c'était chouuuu...

Ne t'en fais pas. Il me sera aussi facile d'entrer chez les Kalingrad que d'en ressortir le moment venu.

Elle leva la tête, et son regard bleu clair croisa celui d'Yvan von Dast. Néanmoins, elle avait desz conditions.

Cependant...

Elle fit quelques pas, puis se retourna vers lui. Et calmement, sans émotion particulière dans la voix, elle énonça :

Mon infiltration, mes règles. Contact à ma seule initiative. Tu interfères, et je t'arrache les yeux. Entre autre. On ne se vexe pas de ce que je pourrais dire ou faire chez Kalingrad, notamment parce que je vais devoir... eh bien... malmener le nom des Von Dast. Et que tu sembles assez chatouilleux sur ce point.

Il n'y avait qu'à voir ses réactions lors de leur première rencontre. Et malmener... c'était un piètre euphémisme. Elle allait devoir le traîner dans la boue oui. Mais il faudrait bien ça pour justifier son brusque changement d'attitude alors qu'elle avait été le chercher avant de quitter la demeure Kalingrad. Mais elle avait déjà sa petite idée.

Autre chose. Je me donne deux mois pour entrer dans les bonnes grâces de Chien Kalingrad et pour retrouver l'endroit où il a stocké ce parchemin. Parce qu'il est évident qu'il l'aura déplacé, par mesure de précaution. Passé ce délai, je lâche l'affaire.

Bah oui, il y avait quand même des limites à ce qu'elle était prête à faire. Pas beaucoup. En fait il n'y en avait pas. C'est juste que ça la soulait lorsque ça durait trop longtemps. En même temps... deux mois... elle prévoyait très large. Kalingrad cèderait bien avant.

Aucune difficulté ? Fort bien. Yvan n'avait d'autre choix que de la croire sur parole... et de lui faire confiance. Il ne l'avait pas formée, il ignorait tout de ses antécédents. Il n'avait pas le choix. Le prince était sur une corde raide mais il ne pouvait faire autrement. Pas maintenant. A moins d'abandonner Kate aux Kalingrad pour trouver un autre plan. Dans tous les cas, il s'en sortirait. Sauf si Kate décidait finalement de retourner sa veste et de le tuer. Ce n'était pas une possibilité à exclure totalement.
Yvan allait approuver, mais la vampire accrocha son regard, le décidant à se taire pour attendre la suite. Cela semblait important. Et en effet.

Lorsqu'elle eut finit, Yvan se détendit contre le dossier du fauteuil. Qu'avait il à redire à ça ?

"Tes conditions sont acceptables. Mais ne comptes pas sur moi pour te sauver la mise si tu es en danger. Je ne perdrai pas la vie pour la tienne. La cause que je porte est trop importante pour cela. Je pense que tu le comprends. Inutile de s'étendre sur le sujet. Je souhaitais simplement t'en faire part clairement une bonne fois pour toutes."

Il se leva et avança tranquillement jusqu'à Kate, un sourire tranquille sur les lèvres. Ses doigts caressèrent la joue de la vampire. La peau était douce, fine. Froide. Plantant ses améthystes dans les iris clairs de son exécutrice, le Prince Noir précisa à voix basse :

"Et je te tiendrai pas rigueur de tout ce que tu pourrais dire ou faire à mon encontre. De tout ce qui tâchera mon nom et celui de mes ancêtres. Tout ce qui importe, c'est le résultat."

Ils étaient comme en guerre. Tous les coups bas étaient permis. La stratégie et le devoir passaient avant l'honneur. La victoire conduisait à l'honneur et au respect. Mais la bienséance menait rarement au succès. Pas dans cette ville. Pas dans le monde d'Yvan von Dast.
Il recula tout aussi lentement qu'il était arrivé et croisa les mains dans son dos. Il s'apprêtait à quitter le petit salon, mais hésita sur le pas de la porte. Devait-il le lui révéler ? Le contenu de cette lettre ? Et le détail qui lui avait permis de se souvenir de l'existence d'Arioch. Ce détail, qui en disait long sur les origines de sa famille. Un secret que nul ne savait, hormis, à ce qu'en savait Yvan, feu Emilien et lui-même. Lesquels de ses ancêtres décédés avaient été mis au secret, cela le Prince Noir ne pouvait le dire.
Il se retourna vers Kate.

"As-tu besoin de quelque chose ? Et quand penses-tu mettre en œuvre ton infiltration ?"